jeudi 29 avril 2010

L'etranger

ÉTUDE D’UNE OEUVRE INTÉGRALE: L’Étranger de Camus

BIOGRAPHIE

CAMUS Albert (1913 – 1960)
• Écrivain français, l’un des principaux acteurs de la vie intellectuelle française de l’après-guerre
• Né en Algérie dans une famille modeste, orphelin de père, Camus commence des études de philosophie
• Atteint de tuberculose, il ne peut achever ses études et doit renoncer à l’enseignement
• Il publie sa première œuvre L’Envers et l’Endroit (1937) où apparaissent ses thèmes de prédilection : « la mort – le soleil – l’isolement – le destin de l’Homme »
• A partir de 1938, Camus embrasse le journalisme
• Il joue un rôle très actif dans la résistance, au sein du mouvement Combat
• La publication de son essai L’Homme révolté est à l’origine de la rupture définitive entre Camus et Sartre sur la question de l’engagement
• En 1957, il reçoit le prix Nobel de la littérature
• En 1960, il meurt dans un accident de voiture

BIBLIOGRAPHIE

L’Étranger (1942)
Le mythe de Sisyphe (1942)
Caligula (1944)
La Peste (1947)
Les Justes (1950)
L’ABSURDE

Bien qu’apparenté dans une certaine mesure à l’existentialisme, Camus s’en est nettement séparé pour attacher son nom à une doctrine personnelle, la philosophie de l’absurde. Elle est définie dans Le Mythe de Sisyphe, dans L’Étranger, dans La Peste puis dans Caligula et le Malentendu.
L’absurde correspond à un climat d’angoisse chez les écrivains, après la seconde guerre mondiale.
Les thèmes essentiels :
La solitude de l’homme, le tragique de l’existence. Les personnages, étrangers dans le monde, prennent conscience de la dérision de la condition humaine. Anonymes, sans épaisseur, ils se présentent comme des antihéros.
L’espace vide, l’écoulement infini du temps. Les personnages évoluent dans un univers sans repères, sans futur.
L’incommunicabilité et la vanité du langage. Le langage semble vidé, mécanique, artificiel.


STRUCTURE DE L’ŒUVRE

Deux grandes parties

I. La mort de la mère
Ch. 1 : la nouvelle de la mort/ l’hospice/ la veillée/ l’enterrement
Ch. 2 : le réveil le samedi/ Marie / le cinéma/ le dimanche
Ch. 3 : au bureau/ avec Emmanuel/ les voisins
Ch. 4 : dimanche/ la plage/ chez Mersault/ le vieux
Ch. 5 : au bureau/ coup de fil de Raymond/ la demande en mariage
Ch. 6 : le dimanche/ la plage et le meurtre

II. La mort de Mersault
Ch. 1 : le juge et l’interrogatoire/ l’avocat/ 2ème interrogatoire
Ch. 2 : la prison/ visite de Marie/ la vie en prison
Ch. 3 : le procès/ le 1er jour
Ch. 4 : le procès/ le réquisitoire/ la plaidoirie/ le verdict
Ch. 5 : méditation sur la peine de mort/ la visite de l’aumônier

TECHNIQUE NARRATIVE

Le récit est à la première personne, ce qui marque la place prédominante du narrateur. Il raconte de façon sobre les événements. Au fil du roman, on va passer du journal au récit. Dans la première partie, la chronologie est assez précise, on va de jour en jour, de semaine en semaine. On se situe peu de temps après ce qui s’est passé. Dans la deuxième partie, le narrateur se situe plutôt après. Entre la dernière visite de l’aumônier et son exécution, il est situé « cinq mois » après le moment où ont lieu les événements. La chronologie se dilue, le temps est moins marqué. Il fait un retour en arrière puis il avance puis il revient à nouveau en arrière. Le narrateur est plus loin dans le temps, il fait la synthèse. Dans la seconde partie, Meursault est comme retranché de la vie, il sort du temps.

THÉMATIQUE
• Éros et Thanatos
• Le destin
• L’indifférence
• L’absurde

ÉTUDE DU PERSONNAGE
Le personnage de Meursault et les sens : Un personnage imprégné de sensations

1. Meursault, un « animal » ou être primitif ?
L’omniprésence du ciel, du soleil dans tous les épisodes ou presque : Meursault comme un baromètre de l’univers physique.
Enterrement de la mère : notations sur la chaleur, la lumière plus ou moins intense
Moments d’intimité avec Marie : éléments du corps féminin qu’il désire, sensations du toucher et de l’odorat, plaisirs charnels dans les bains en communion avec la nature ;
A tout instant en communication avec l’univers de couleurs et de bruits : « le ciel était vert »

2. Meursault, prisonnier de ses sens
Les éléments et les sensations peuvent se retourner contre lui : c’est le sens du chapitre 6 où le meurtre narré du point de vue du criminel finit par ressembler à un acte de légitime défense contre l’agression d’un soleil et d’une chaleur hostiles. Point de rupture de l’équilibre de son existence précaire, clairement signalé par le texte. Dans le dernier chapitre, la symbolique de l’aube assimilée à la possibilité de la grâce fait du soleil un élément ambivalent, source de vie ou bien de mort, puisque c’est à l’aube aussi qu’on exécute les condamnés. La mort est aussi comparée à une montée, une « ascension en plein ciel »

Le personnage de Meursault et la question du sens : Un personnage privé de signification

1. Un temps absurde
Meursault est soumis au temps présent, incapable de se projeter dans un avenir : au chapitre 5, il décline les projets d’avenir de son patron, de sa « fiancée ». Dans l’isolement de sa cellule il affronte le problème du temps en face « toute la question, encore une fois, est de tuer le temps » et grâce à la recréation de souvenirs de liberté finit par trouver « qu’un homme qui n’aurait vécu qu’un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison ». Cette « prison », c’est peut-être lui-même.

2. L’absence à soi et aux autres
Meursault est une énigme vivante aux autres d’abord : étonnement et indignation des autres devant son indifférence à l’amour, à la mort, scandale pour le juge d’instruction qui le traite d’antéchrist, pour le procureur qui juge l’homme sans cœur, sans larmes devant le tombeau de sa mère… Mais il est une énigme pour lui-même : en prison, dans le fond de sa gamelle, il reconnaît avec peine son propre reflet. Cette impossibilité de « réfléchir » aux deux sens du terme, c’est à dire renvoyer une image et penser, fait de lui un aveugle : « itinéraire d’aveugle ». Ainsi, pendant le procès, par un effet de dédoublement étrange, il a en fixant le public « l’impression bizarre d’être regardé par moi-même ».

jeudi 22 avril 2010

mardi 13 avril 2010

L'isolement

L’isolement- Commentaire de Lamartine

J'écrivis cette première méditation un soir du mois de septembre 1819, au coucher du soleil, sur la montage qui domine la maison de mon père, à Milly. J'étais isolé depuis plusieurs mois dans cette solitude. Je lisais, je rêvais, j'essayais quelquefois d'écrire, sans rencontrer jamais la note juste et vraie qui répondit à l'état de mon âme; puis je déchirais et je jetais au vent les vers que j'avais ébauchés. J'avais perdu l'année précédente, par une mort précoce, la personne que j'avais le plus aimée jusque-là. Mon coeur n'était pas guéri de sa première grande blessure, il ne le fut même jamais. Je puis dire que je vivais en ce temps-là avec les morts plus qu'avec les vivants. Ma conversation habituelle, selon l'expression sacrée, était dans le ciel. On a vu dans Raphaël comment j'avais été attaché et détaché soudainement de mon idolâtrie d'ici-bas.

J'avais emporté ce jour-là sur la montagne un volume de Pétrarque, dont je lisais de temps en temps quelques sonnets. Les premiers vers de ces sonnets me ravissaient en extase dans le monde de mes propres pensées. Les derniers vers me sonnaient mélodieusement à l'oreille, mais faux au coeur. Le sentiment y devient l'esprit. L'esprit a toujours, pour moi, neutralisé le génie. C'est un vent froid qui sèche les larmes sur les yeux. Cependant j'adorais et j'adore encore Pétrarque. L'image de Laure, le paysage de Vaucluse, sa retraite dans les collines euganéennes, dans son petit village que je me figurais semblable à Milly, cette vie d'une seule pensée, ce soupir qui se convertit naturellement en vers, ces vers qui ne portent qu'un nom aux siècles, cet amour mêlé à cette prière, qui font ensemble comme un duo dont une voix se plaint sur la terre, dont l'autre voix répond du ciel; enfin cette mort idéale de Pétrarque la tête sur les pages de son livre, les lèvres collées sur le nom de Laure, comme si sa vie se fût exhalée dans un baiser donné à un rêve! tout cela m'attachait alors et m'attache encore aujourd'hui à Pétrarque. C'est incontestablement pour moi le premier poëte de l'Italie moderne, parce qu'il est à la fois le plus élevé et le plus sensible, le plus pieux et le plus amoureux; il est certainement aussi le plus harmonieux: pourquoi n'est-il pas le plus simple? Mais la simplicité est le chef-d'oeuvre de l'art, et l'art commençait. Les vices de la décadence sont aussi les vices de l'enfance des littératures. Les poésies populaires de la Grèce moderne, de l'Arabie et de la Perse, sont pleines d'afféterie et de jeux de mots. Les peuples enfants aiment ce qui brille avant d'aimer ce qui luit; il en est pour eux des poésies comme des couleurs: l'écarlate et la pourpre leur plaisent dans les vêtements avant les couleurs modérées dont se revêtent les peuples plus avancés en civilisation et en vrai goût.

Je rentrai à la nuit tombante, mes vers dans la mémoire, et me les redisant à moi-même avec une douce prédilection. J'étais comme le musicien qui a trouvé un motif, et qui se le chante tout bas avant de le confier à l'instrument. L'instrument pour moi, c'était l'impression. Je brûlais d'essayer l'effet du timbre de ces vers sur le coeur de quelques hommes sensibles. Quant au public, je n'y songeais pas, ou je n'en espérais rien. Il s'était trop endurci le sentiment, le goût et l'oreille aux vers techniques de Delille, d'Esménard et de toute l'école classique de l'Empire, pour trouver du charme à des effusions de l'âme, qui ne ressemblaient à rien, selon l'expression de M. D*** à Raphaël.

Je résolus de tenter le hasard, et de les faire imprimer à vingt exemplaires sur beau papier, en beau caractère, par les soins du grand artiste en typographie, de l'Elzevir moderne, M. Didot. Je les envoyai à un de mes amis à Paris: il me les renvoya imprimés. Je fus aussi ravi en me lisant pour la première fois, magnifiquement reproduit sur papier vélin, que si j'avais vu dans un miroir magique l'image de mon âme. Je donnai mes vingt exemplaires à mes amis: ils trouvèrent les vers harmonieux et mélancoliques; ils me présagèrent l'étonnement d'abord, puis après l'émotion du public. Mais j'avais moins de confiance qu'eux dans le goût dépravé, ou plutôt racorni, du temps. Je me contentai de ce public composé de quelques coeurs à l'unisson du mien, et je ne pensai plus à la publicité.

Ce ne fut que longtemps après, qu'en feuilletant un jour mon volume de Pétrarque, je retrouvai ces vers, intitulés: Méditation, et que je les recueillis par droit de primogéniture pour en faire la première pièce de mon recueil. Ce souvenir me les a rendus toujours chers depuis, parce qu'ils étaient tombés de ma plume comme une goutte de la rosée du soir sur la colline de mon berceau, et comme une larme sonore de mon coeur sur la page de Pétrarque, où je ne voulais pas écrire, mais pleurer.