mardi 7 décembre 2010

Paris - Jules Supervielle

[Introduction]
Jules Supervielle (1884-1940), auteur de romans, de pièces de théâtre et de poèmes, quitte la France pour son pays natal, l’Uruguay, au début de la Seconde Guerre mondiale. Il ne tourne pas pour autant le dos aux événements et consacre un recueil poétique à la guerre, Poèmes de la France malheureuse (1939-1945). Le poème ‘’Paris ‘’, composé de six quatrains d’hexasyllabes, est consacré à un événement précis : devant l’avancée des Allemands, les autorités françaises déclarent, en 1940, Paris ‘’ville ouverte ‘’. Nous verrons dans un premier temps comment le poète suggère la menace qui pèse sur la capitale et sur sa culture; puis, dans un second temps, nous montrerons qu’il affirme la nécessité du changement comme refus de la soumission.

[I — La menace]
Le poème ‘’ Paris “ évoque tout d’abord le danger qui pèse sur Paris.
[A. Un danger mal défini]
Alors que Supervielle évoque dans ce poème un fait historique marquant, il n’attaque jamais directement sa cible. Il ne désigne pas l’armée allemande comme la menace qui pèse sur Paris. Il recourt au contraire à des formulations vagues. L’utilisation de la métonymie et du pluriel (‘’ des yeux ennemis ‘’, ‘’ De nouvelles oreilles ‘’, ‘’ de têtes / D’un pays érranger ‘’) suggère un danger insaisissable, dont la présence envahit tout sans que l’on puisse lui résister efficacement. La voix passive, récurrente dans le poème (‘’ Te voilà regardée / Par des yeux ennemis ‘’, ‘’ La Seine est surveillée’’), montre que l’ennemi contrôle tout mais reste dans l’ombre, qu’il n’a pas le courage de s’avancer dans la lumière pour un combat loyal. Le chiasme (‘’ regardée ‘’, ‘’ yeux ‘’, oreilles , <>) sur lequel est bâti le deuxième quatrain souligne également cette omniprésence de l’ennemi. Pourtant, le danger est bien présent comme le montre l’adverbe de temps ‘’voilà’’ au vers 5 : il ne s’agit pas d’une menace lointaine, qui pourrait se détourner de sa cible. Ainsi, le poète, sans les nommer, fait des soldats allemands une menace impalpable et effrayante.
[B. Paris, ville ouverte , Paris ville prisonnière]
Alors que le poète rappelle dans le premier vers que les autorités françaises ont déclaré <> en 1940, il montre que ce geste a emprisonné la capitale. La troisième strophe est à cet égard remarquable. Elle repose sur un schéma de rimes embrassées (‘’ surveillée ‘’, ‘’ puits ‘’, ‘’nuit ‘’, ‘’emprisonnées’’), image rnême de la clôture. De plus, les deux participes passés qui sont mis en valeur à la rime évoquent l’un et l’autre l’enfermement. Celui-ci s’inscrit à la fois dans l’espace (“ du haut d’un puits “) et dans le temps (“ jour et nuit “). La surveillance était déjà suggérée dans la strophe précédente grace aux verbes de perception (‘’ regardée ‘’ et ‘’Ecoutent ‘’). Ainsi, Paris, en s’ouvrant à l’ennemi, s’est livrée prisonnière.
[C. Une parole menacée]
Le danger qui rode est tel que la parole elle-même semble menacée: le temps n’est plus aux grandes phrases. La parole s’amenuise, proche du dernier souffle. On peut tout d’abord noter l’emploi d’hexasyllabes (vers de six syllabes) très brefs. De plus, les règles de la grammaire semblent parfois incompatibles avec l’urgence d’une parole qui s’effrite. Ainsi la double négation disparaît de la quatrième strophe (‘’ Tous les siècles français / [...] Vont-ils pas nous quitter / Dans leur grande colère ? ‘’). Enfin, on entend des allitérations en [r] à plusieurs reprises dans le poème, et notamment dans la dernière strophe, suggérant un râle d’agonie (‘’ quelque merveille / Qui préfère mourir! Pour ne pas nous trahir’’). Ainsi, proche de l’épuisement, la parole, loin d’être ample et fluide, semble elle aussi lutter contre un danger inconnu.
[Conclusion partielle et transition] Ainsi, le poète lui-même, malgré son éloignement, et la parole poétique sont atteints par la guerre et l’invasion allemande, péril aussi dangereux que fuyant, qui exerce sa force dans l’ombre. Devant cette menace, le poète présente le changement comme une nécessité vitale. [II - La nécessité du changement] Le poète rappelle dans son poème ce que l’on perd en perdant Paris, puis, sans jamais se faire donneur de leçon, il suggère comment réagir.
[A. La richesse d’un patrimoine]
Ce que remet en cause l’ouverture de Paris aux armées allemandes, c’est la richesse d’un patrimoine. Ce dernier apparaît intrinsèquement lié à la ville de Paris, à son architecture, comme le montre l’harmonie sonore dans le vers 14 (‘’ Si bien pris dans la pierre ‘’). Il s’agit d’une histoire ancienne (‘’ vieux bruits ‘’, “Tous les siècles francais ‘’) qui unit autour d’elle un peuple. Ainsi, nous notons dans le poème la récurrence du pronom personnel de la première personne qui manifeste l’union (‘’ nous quitter ‘’, ‘’nous trahir ‘’). Notons que la premiere référence au passé est associée aux ‘’bruits ‘’, à ce qui s’entend. Or, le poète nous donne à entendre au début de “ Paris’’ un écho de la tradition poétique. En effet, il commence par quelques vers qui rappellent le lyrisme traditionnel : l’adresse directe avec le vocatif ‘’ Ô Paris ‘’, l’emploi d’une comparaison (‘’ Ainsi qu’une blessure ‘’) et l’allusion à la nature (‘’campagne verte ‘’), thème traditionnel en poésie, semblent annoncer un poème lyrique, mélancolique, plein de regrets. Pourtant, le poète ne prétend pas conserver le passé, le protéger contre l’ennemi et il se détourne du lyrisme d’antan. Pour lui, pour échapper à la trahison, à la soumission, il faut au contraire prendre le chemin du changement.
[B. Echapper au danger]
La menace est telle que pour ne pas se compromettre, il faut se détacher du passé. Le poème ouvre la voie. La sobriété de ses vers sont comme une mise en sourdine de la poésie traditionnelle. Le poète reste distancié et s’éloigne de tous les clichés attendus. Il ne dévoile pas explicitement ses sentiments: ainsi, lorsqu’il évoque ‘’la colère ‘’, ce n’est pas la sienne mais, par une personnification, celle des ‘’siècles français ; pour sa part, il ne se livre à aucune attaque polémique. Le poète, prenant ses distances avec une tradition romantique, élude également une évocation sensuelle du paysage meurtri: le vocabulaire des sensations est en effet très rare, contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un paysage état d’âme. Cette retenue évoque une’’ merveille ‘’ de la poésie française qui refuserait de rester ‘’pareille’’ en ces temps sombres. De même, alors que les quatre premières strophes forment chacune une unité de sens, les deux dernières sont unies par un enjambement de la cinquième sur la sixième strophe. L’absence de ponctuation et la longueur de la phrase rappellent le rythme de la prose et le vers prend ses distances par rapport à une forme versifiée traditionnelle, ‘’merveille / qui préfère mourir ‘’... Ainsi, continuer ce qui a été fait depuis des siècles est impossible : ce serait trahir. Il faut s’absenter, se dissirnuler, vivre caché (‘’ rester secrète ‘’) ou’’ mourir ‘’, mais ne pas ignorer la’’ blessure’’ dont sont victimes la France et Paris.
[Conclusion partiellel Prendre conscience du danger qui menace Paris et ses richesses ne conduit pas le poère à une célébration d’un passé qu’il faudrait préserver à tout prix. Discrètement, il affirme au contraire la nécessité de renoncer a la grandeur passée, d’abandonner la’’ merveille’’ poétique au silence.
[Conclusion]
‘’Paris ‘’, poème de Jules Supervielle, peut surprendre le lecteur. Ce poème, extrait du recucil Poèmes de la France malheureuse, ne recourt ni au registre pathétique, ni au registre polémique. C’est au contraire avec sobriété qu’il évoque le danger qui pèse sur Paris, ouverte aux Allemands, désormais ville prisonnière, dont les richesses sont menacées. Pourtant, au-delà de cette retenue, le poète refuse toute compromission : il faut mourir plutôt que se soumettre.


lundi 31 mai 2010

Corrige du devoir : l'aveu de Phedre a Thesee

Comment Phèdre apparaît-elle dans cet extrait :

I- Un personnage tragique :
1- Elle est victime de la fatalité :
Elle est maudite par Vénus qui veut la punir : v.1625, « Le ciel mit en mon sein une
flamme funeste. »
Elle est victime de sa propre faiblesse et, paradoxalement du dévouement d’Oenone
qui, voulant la protéger, a précipité la fin tragique d’Hyppolite : v.1629-1630 :
« La perfide, abusant de ma faiblesse extrême,
S’est hâtée à vos yeux, de l’accuser lui-même. »

2- Elle est coupable : Phèdre se sent coupable des sentiments incestueux qui
l’habitent, même si elle n'a pas manifesté à leur égard la moindre tentative de
réalisation : en d’autres termes elle est coupable d’avoir parlé parce que sa passion
ne s’est pas concrétisée : v. 1624, « Osai jeter un regard profane, incestueux. »
Elle est associée au personnage mythologique de Médée qui égorgea ses propres
enfants pour se venger de Jason qui l’avait abandonnée :
v.1638 : « Un poison que Médée apporta dans Athènes.»

II- Une reine majestueuse :
1- Elle se pose en égale face à Thésée :
V.1622 : « Ecoutez-moi Thésée (interruption et verbe à l’impératif)
Elle est le sujet des verbes, v1623 « C’est moi qui…
V 1635 « J’ai voulu …

2- Vertueuse, elle rend justice à Hyppolite avant de se donner la mort :
Elle exprime ses remords et reconnaît sa faute :
V, 1635,1636 : « J’ai voulu, devant vous, exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts. »

3- Noble : Dans les tragédies, mourir par le poison ou par l’épée est considéré comme
une noble façon de mourir, contrairement à la noyade (Oenone).
Phèdre accomplit un acte de courage qui n’enfreint pas les règles des
bienséances parce qu’elle se suicide c’est-à dire qu’elle ne verse pas le
sang de quelqu’un d’autre sur scène.

• Conclusion : La coupable et l'innocente, l'ombre et la lumière
Phèdre est tiraillée entre son exigence de pureté et la faute qui l'habite.
Cette dualité est le plus souvent traduite par les images symboliques de l'ombre
et de la lumière.
Ombre où elle peut dissimuler sa faute ; ombre de la mort ; ombre propice des
domaines infernaux où la coupable pourrait peut-être trouver l’apaisement après le
jugement ; ombre où siège, majestueuse, l’image du père, juge réprobateur ; ombre
de la damnation des réprouvés.
Lumière de son aïeul, le soleil ; lumière de la conscience qui dissèque et juge sans
pitié ; lumière de la pureté du cœur.

mardi 25 mai 2010

Phèdre et la tragédie classique-Synthese

La tragédie que nous appelons "classique" apparaît vers 1630. Une première génération, celle de Corneille, est bientôt supplantée par celle de Racine. C'est un genre extrêmement codifié : une pièce de théâtre en cinq actes et en vers, alexandrins à rime plate. Elle obéit à la fameuse "règle des trois unités" : l'unité d'action tout d'abord, qui suppose une intrigue principale à laquelle peuvent être liées de manière étroite des intrigues secondaires. Dans Phèdre, le personnage d'Aricie est un ajout par rapport à la fable. L'amour des deux jeunes gens, contrarié par la volonté du père (puisqu'Aricie est issue d'une famille ennemie), appartiendrait davantage au registre de la comédie, où les jeunes gens finissent par l'emporter sur les barbons. Cet amour ne pourrait se réaliser qu'en dehors de la scène tragique : la fuite, loin de Trézène, est envisagée à la scène 1 de l'acte V.
"Fuyez vos ennemis et suivez votre époux.
Libres dans nos malheurs, puisque le ciel l'ordonne,
Le don de notre foi ne dépend de personne." (vers 1388-1390)
Mais on n'échappe pas ainsi à la tragédie, la mort d'Hippolyte vient briser ce rêve, et vient rappeler qu'il n'est pas d'issue. D'autre part, le sentiment qui unit les jeunes gens vient contraster fortement avec la passion qu'éprouve Phèdre. La douceur s'oppose à la violence, et l'harmonie à la destruction. Ainsi, l'intrigue secondaire sert l'intrigue principale de deux manières : d'abord, d'un point de vue dramatique, puisque Phèdre apprenant les sentiments d'Hippolyte pour Aricie renonce à détromper Thésée, ensuite sur le plan symbolique, puisque l'amour tendre met davantage en valeur la démesure de l'amour-passion.
L'unité de temps, ensuite : par un souci de vraisemblance, mais aussi de concentration de l'action, la durée fictive de l'intrigue tend à se rapprocher au plus près de la durée réelle de la représentation. Ainsi, la tragédie classique se déroule souvent sur le mode de l'urgence, et même du "trop tard" : dès le début de la pièce, Hippolyte a pris la décision
de quitter Trézène, ce sont d'ailleurs les premiers mots de la pièce. Dès sa première apparition, Phèdre a résolu de mourir, et le déroulement de l'intrigue ne fera que retarder et tout à la fois confirmer cette annonce initiale. Enfin, l'unité de lieu dépend étroitement des deux premières : en effet, la durée maximale de l'intrigue, vingt-quatre heures, limite les déplacements dans l'espace, et la concentration temporelle, qui sert le suspens et l'impression d'urgence, est renforcée par la sensation d'enfermement souvent provoquée par l'unité de lieu. On le voit, ces règles qui peuvent au premier abord sembler arbitraires sont en fait au service d'une plus grande intensité dramatique dans le déroulement de la crise.
Enfin, le poète tragique obéit aux exigences de la vraisemblance et de la bienséance. Vraisemblance, parce qu'on ne croit qu'à ce qui est vraisemblable, et que l'adhésion du spectateur à ce qu'il voit est à ce prix. Les caractères des personnages obéissent à une certaine logique interne. Par exemple, toutes les actions d'Oenone sont subordonnées à sa fidélité absolue à sa maîtresse, même si son dévouement s'avère en réalité catastrophique. Quant à la bienséance, elle concourt à la dignité du genre tragique en même temps qu'à son efficacité. Il n'est pas question d'évoquer sur scène des réalités basses ou vulgaires, ni de représenter des actions horribles ou déplacées comme des meurtres. Pourtant, la tragédie est loin d'être un genre mièvre et édulcorée : la lecture du récit de Théramène montrera que l'on évoque par le langage poétique, le supplice d'Hippolyte et l'horreur de son corps démembré, ou la passion dévorante de Phèdre avec toute la force et la violence nécessaires. Finalement, la suggestion prouve son efficacité.
La tragédie s'ouvre sur une crise : dans Phèdre, cette crise est à la fois politique, puisque le roi a disparu, et passionnelle puisque Phèdre aime désespérément son beau-fils. Le faux bruit de la mort de Thésée, en offrant un instant à Phèdre une issue, ne sert qu'à rendre la situation plus inextricable encore lorsque l'on apprendra le retour de Thésée : entre temps, Phèdre aura avoué à Hippolyte son amour, et se trouvera engagée dans un processus infernal dont elle ne pourra se dégager; entre temps, Aricie a rêvé être libre.
Tragique et tragédie :
Comme on vient de le voir, la tragédie est un genre littéraire rigoureusement codifié. Il ne faut pas en déduire que toutes les tragédies sont forcément tragiques, ni que le tragique n'existe que dans les tragédies. Le tragiqe ne se confond pas non plus avec une fin malheureuse : certaines tragédies de Corneille se terminent bien, Mithridate de Racine également, d'une certaine manière, et personne ne meurt dans Bérénice.
La faute est l'un des ressorts du tragique : Phèdre se sait coupable et lutte en vain contre sa passion. Thésée se laisse emporter par la colère et attire sur son fils la malédiction divine, qu'il ne pourra ensuite enrayer. Hippolyte, farouche et rebelle à l'amour, est puni de son orgueil, même si ce ressort est moins développé chez Racine que chez Euripide. Quant à Oenone, son dévouement aveugle, excessif à sa maîtresse la conduit à la perdre en voulant la sauver.
La notion de tragique fait également apparaître celle de fatalité. Les personnages sont entraînés dans une logique qui les dépasse. Pour Phèdre, la fatalité a le visage de Vénus, "tout entière à sa proie attachée", et prend la forme de la passion. Une malédiction héréditaire pèse sur l'héroïne. Le verbe latin patior, d'où nous vient ce mot, signifie subir et en effet, Phèdre se présente tout au long de la pièce comme une victime, qui subit malgré elle une loi qui la dépasse et la détruit. Sa passivité est exprimée à plusieurs reprises, lorsqu'elle s'en remet entièrement à Oenone. Cette impression de fatalité est renforcée par le fait que le sujet de la pièce est emprunté à la mythologie : les personnages et l'issue de la crise sont donc par avance connus du public. La pièce va se dérouler sur fond de cette certitude initiale, et les efforts des personnages pour échapper à leur destin paraîtront d'autant plus dérisoires et pathétiques.
Sujet et sources de Phèdre :
Dans la préface de 1677, Racine évoque ses sources, et principalement le poète grec Euripide (484-406 av. J.-C.), qui dans sa tragédie Hippolyte (428) avait traité le mythe de Phèdre. Dans cette pièce, le héros est poursuivi par la déesse de l'amour, Aphrodite, qui dès les premiers vers clame sa fureur d'être délaissée par le jeune homme au profit d'Artémis. Dans Phèdre, Vénus s'acharne contre la famille de la reine, dont l'ancêtre, le Soleil, avait révélé les amours coupables de la déesse et de Mars. La fatalité prend ainsi la forme de cette haine implacable attachée à toute la descendance du Soleil. Sénèque, philosophe et poète romain du premier siècle après J.-C., est également l'auteur d'une tragédie consacrée à ce sujet. Le récit de Théramène, dans toute son horreur, doit beaucoup à cette source sur laquelle Racine insiste moins. Les ravages de la passion comme maladie de l'âme, ont été également explorés par les Anciens. Citons encore les Héroïdes d'Ovide, et l'Enéide de Virgile, en particulier les amours de Didon et Enée.
"Fille de Minos et de Pasiphaé", Phèdre appartient à une famille illustre : son père est l'un des juges qui siègent aux Enfers. Dans La Poétique, Aristote indique que les héros de tragédie, contrairement aux personnages de comédie, sont de noble extraction. Les conflits tragiques sont donc à la fois personnels et politiques : la mort de Thésée ou la faute de Phèdre ont des conséquences au plus haut niveau de l'Etat.
Structure de la pièce :
Conformément à ce que préconise Racine dans la préface de Britannicus, l'action est simple et se déroule par degrés. Chaque étape de l'action retarde et confirme tout à la fois la mort prochaine de Phèdre.
"Je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable" (vers 242)
Acte I
La pièce s'ouvre in medias res, par une scène entre le héros, Hippolyte, et son confident Théramène. Ce type de scène, fréquent dans la tragédie classique, permet d'allier les informations nécessaires à l'intelligence de l'action et un certain naturel. L'exposition, qui se prolonge jusqu'à la scène 3, est à la fois discours sur l'action et début de cette action. On apprend qu'Hippolyte s'apprête à quitter Trézène, à la recherche de son père Thésée dont il est sans nouvelles. En réalité, cette quête masque une fuite, puisque le jeune homme avoue être amoureux d'Aricie, soeur des ennemis de Thésée : c'est le premier aveu de l'exposition, vers 56. Phèdre apparaît à la scène 3, languissante et désirant mourir. Elle est accompagnée de sa confidente Oenone, à qui elle finit par révéler son amour coupable et vainement combattu pour Hippolyte, son beau-fils.
A la scène 4, l'annonce de la mort de Thésée constitue un évènement qui noue l'action.
L'acte I noue les fils de l'action et constitue le premier palier : le premier aveu de Phèdre.
Acte II
Nouvelle scène héros-confident, cette fois entre Aricie et sa suivante Ismène (scène 1). Aricie lui avoue son amour pour Hippolyte, qui désormais tient son sort entre ses mains. Hippolyte vient ensuite remettre le pouvoir de l'Attique à Aricie, et finit par lui déclarer son amour (scène 2). Celle-ci lui laisse entendre que ses sentiments sont partagés avant de quitter la scène (scène 3).
Phèdre vient à Hippolyte, plaider en faveur de son fils (scène 4). Emportée par sa passion elle avoue au jeune prince l'amour qui la consume. Egarée, elle s'offre à son épée pour expier son crime et lui arrache son arme (scène 5). Hippolyte resté seul, part vérifier la rumeur selon laquelle Thésée serait en vie (scène 6).
Deuxième palier dans la descente aux enfers de Phèdre : elle a avoué son amour à Hippolyte. La faute est encore plus grave si Thésée n'est pas mort.
Acte III
Phèdre désepérée s'en remet à Oenone qui la convainc de fléchir Hippolyte en lui offrant le pouvoir (scène 1). Restée seule, la reine invoque Vénus, instrument de sa perte (scène 2). Avant d'avoir accompli sa mission, Oenone revient annoncer à sa maîtresse le retour de Thésée. Elle l'exhorte à accuser Hippolyte pour sauver son honneur (scène 3). Thésée paraît. Phèdre s'enfuit avec quelques paroles équivoques (scène 4). A Thésée qui lui demande des explications, Hippolyte répond par son désir de fuir. S'installe alors un malentendu entre le père et le fils (scène 5).
Le malentendu est un moteur du tragique. Phèdre s'en remet complètement à Oenone.
Acte IV
Oenone accomplit son dessein en accusant Hippolyte d'avoir voulu séduire la reine (scène 1). Ce discours trompeur confirme les soupçons nés aux scènes précédentes. Face à la colère de son père, Hippolyte tente vainement de le détromper en lui avouant son amour pour Aricie. Thésée bannit son fils et le voue à la colère de Neptune à la scène suivante.
Phèdre se rend auprès de Thésée pour tenter d'adoucir sa colère, mais elle renonce en apprenant l'amour d'Hippolyte pour Aricie (scène 4). La reine seule laisse éclater sa fureur (scène 5), et chasse violemment Oenone venue la réconforter (scène 6).
Acte V
La première scène offre une certaine acalmie. Hippolyte expose à Aricie les raisons qui l'ont poussé à se taire face aux accusations de son père, et lui offre de l'épouser et de fuir avec lui. Tandis que le jeune prince la devance, Aricie a un entretien avec Thésée : elle laisse entendre qu'Hippolyte est victime d'une odieuse calomnie (scène 3). Resté seul, Thésée, en proie au doute, donne l'ordre qu'on fasse venir Oenone (scène 4). On apprend à la scène suivante la mort volontaire d'Oenone et le désespoir grandissant de Phèdre. Ces nouvelles plongent Thésée dans l'angoisse : il désire revoir son fils et revient sur les voeux adressés à Neptune. La scène 6 est la célèbre scène du récit de Théramène, venu confirmer les craintes de Thésée : la malédiction hâtivement prononcée s'est réalisée, prenant la forme d'un monstre surgi des flots pour massacrer Hippolyte. La mort héroïque du jeune homme est rendue plus pathétique encore par le désespoir d'Aricie, venue rejoindre celui qui devait être son époux. Phèdre paraît enfin, et avoue son crime en agonisant. (scène 7).

mardi 18 mai 2010

Objet d'etude: Un mouvement litteraire et culturel

Séquence V: Le Classicisme
Objet d'étude: Un mouvement littéraire et culturel
Perspective dominante: Histoire littéraire et culturelle
Perspectives complémentaires: étude des genres et des registres
: l'intertextualité et la singularité des textes

I - Œuvre intégrale; Racine, Phedre, 1677 Lecture analytique de 3 textes:

1. L'aveu à Oenone (l, 3) : « Quand tu sauras mon crime. .. de tes bords
dangereux! » ;
2. L'aveu à Hippolyte (II, 5) : « Oui, Prince... retrouvée ou perdue» ;
3. L'aveu à Thésée: (V, scène dernière) : « Les moments... toute sa pureté ».

Problématique retenue: en quoi cette tragédie de Racine est-elle classique?

II - Textes complémentaires: « Anciens et Modernes» :

1. Boileau, Art poetique, 1674
2. Racine, Première préface de Britannicus, 1670
3. Saint-Évremond, Sur les poèmes des Anciens, 1685
4. Perrault, Parallèles des Anciens et des Modernes, 1688
5. Fénelon, Lettre à l'Académie, 1714


Problématique retenue: Quelles conceptions esthétiques l'époque classique défend-¬elle?

lundi 17 mai 2010

Objet d'etude : le roman

Séquence IV – Personnages romanesques :

Objet d’étude : Le Roman et ses personnages
Perspective dominante : L’étude des genres et des registres
Perspective complémentaire : Histoire littéraire et culturelle : le roman réaliste, le roman moderne

Textes étudiés en lecture analytique :
Camus, L’Etranger, 1942

1. L’incipit : du début ….. Pour n’avoir plus à parler »
2. Le meurtre (I, 6) : « Il était seul…. Porte du malheur ».
3. Le procès :(II,4) : « Et j’ai essayé d’écouter ….. puni en conséquence ».
4. L’excipit : « Alors je ne sais pas pourquoi…. des cris de haine »

Perspective de lecture : L’inquiétante étrangeté de l’Homme et du monde.

Textes complémentaires :
« Personnage et société »

1. Balzac, Le Père Goriot, 1835
2. Zola, Germinal, 1885
3. Maupassant, Bel-Ami, 1885
4. Hugo, Quatre-vingt-treize, 1874

Problématique envisagée : la représentation de la société à travers le personnage romanesque.

Lecture cursive : Maupassant, Une Vie

Perspective de lecture : l’esthétique réaliste du roman

Objet d'etude : le theatre

Séquence III : Les formes et les fonctions du langage poétique

Objet d’étude : la poésie

Perspective dominante : Approche de l’histoire littéraire et culturelle : La Renaissance, le Romantisme, le Symbolisme

Perspectives complémentaires :
-Connaissance des genres et des registres
-Intertextualité et singularité des textes



I – Textes étudiés en lecture analytique :

1. Ronsard, Hymne de l’automne, 1563
2. Hugo, « La société est sauvée », Les Châtiments, 1852
3. Rimbaud, « Aube », Illuminations, 1870
4. Aragon, « Elsa au miroir », La Diane française, 1946

Problématique envisagée : Quelles représentations du Poète ces textes proposent-ils ? Comment le genre poétique se libère-t-il des contraintes traditionnelles ?


II – Textes complémentaires :

1.Du Bellay, « Maintenant je pardonne… », Les Regrets, 1558. p.189
2.Lamartine, « L’Isolement », Méditations poétiques, 1820
3.Baudelaire, « L’Albatros », Les Fleurs du Mal, 1857
4.Lautréamont, « Je suis sale… », Les Chants de Maldoror, 1870


Problématique envisagée : Comment et pourquoi les représentations du Poète (et du langage poétique) se sont-elles modifiées ?



Activités faites par les élèves :

1.Histoire littéraire : recherches individuelles sur La Renaissance et La Pléiade
2.Réflexion personnelle, à partir d’un corpus et d’un sujet de dissertation, sur les fonctions du poète.

Objet d'etude : le theatre

Séquence II: Du texte à la scène

Objet d’étude : Le théâtre, texte et représentation

Perspective dominante : L’étude des genres et des registres

Perspective secondaire : approche de l’histoire littéraire et culturelle : l’évolution du genre théâtral.

I – Textes complémentaires :

1. Sophocle, Antigone, scènes de dénouement, 441 av. JC. p. 141
2. Racine, Andromaque, (V, 5), 1667. p. 132
3. Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, 1921.150
4. Ionesco, Les Chaises, 1952. p. 138.

Problématique envisagée : Comment chacun de ces textes indique-t-il les modalités de sa mise en scène ?

II – Etude d’une œuvre intégrale :

Musset, On ne badine pas avec l’amour, 1834

Textes étudiés en lecture analytique :
1.L’exposition (I, 1)
2.La confrontation (II, 5). De « Tu as dix-huit ans et tu ne crois pas a l’amour ! / Y croyez-vous… » jusqu'à la fin de la scène.
3.Mensonge et sincérité (III, 3). De « Entrent Perdican et Rosette, qui s’assoient »,
jusqu'à la fin de la scène.
4.Le dénouement (III, 8)

Perspectives d’étude :
-L’esthétique de la dualité
-Le refus du Classicisme

Lecture cursive :

Ionesco, La Cantatrice chauve, 1951

Problématiques envisagées :
-En quoi est-ce une « anti pièce » ?
-La Cantatrice chauve est-elle une satire du conformisme bourgeois ?
-La Cantatrice chauve met-elle en scène l’absurdité du Langage ?

Documents complémentaires :

La Cantatrice chauve mise en scène de Lagarce : les scènes 1, 4, 8 et 11
On ne badine pas avec l’amour mise en scène de Gelas : les scènes étudiées en lecture analytique.

Activité pédagogique :

Les candidats ont assiste à la représentation d’Antigone de Sophocle mise en scène par Ania Temler le 09 décembre 2009 au théâtre Monnot. La scénographie a ensuite été commentée et appréciée en classe.

Objet d'etude : l'argumentation

Séquence I: L’argumentation: convaincre, persuader, délibérer

Objet d’étude : L’argumentation
Perspectives dominantes : L’argumentation et ses effets sur le destinataire
: L’étude des genres et des registres

Perspective complémentaire : Etude de l’histoire littéraire et culturelle : le Classicisme, les Lumières


Textes étudiés en lecture analytique :
« Argumentation et Autorité »

1.La Fontaine, « Le Chêne et le Roseau », Fables, 1668.
2.La Fontaine, « Les Animaux malades de la peste », Fables, 1668.
3.D’Holbach, « Théocratie », Encyclopédie, 1751-1772. p. 68.
4.Corneille, Le Cid, I, 6, 1636


Problématique envisagée : Comment le locuteur (fictif ou réel) argumente-t-il face à une autorité quelconque ? Comment la représentation de l’autorité change-t-elle entre le XVIIe et le XVIIIe siècle ?


Textes complémentaires :
« Argumentation et genres littéraires » :

1.Montaigne, Les Essais, 1595. p. 398
2.Voltaire, « Petite digression », Le Philosophe ignorant, 1766. p. 378.
3.Florian, « La Fable et la vérité », Fables. P. 372
4.Diderot, Salons, 1767.p.379

Problématique envisagée : Les caractéristiques du conte philosophique, de la fable et de l’essai ; leur efficacité argumentative.

Lecture cursive :

Voltaire, Le Dictionnaire philosophique
Perspective de lecture : En quoi cette œuvre est-elle représentative du mouvement des Lumières ? (la visée didactique, la contestation, les thèmes majeurs).

Activités faites par la classe :

Recherches orientées par l’enseignant sur le Classicisme et les Lumières.
Recherches d’images argumentatives de la part des élèves.

jeudi 29 avril 2010

L'etranger

ÉTUDE D’UNE OEUVRE INTÉGRALE: L’Étranger de Camus

BIOGRAPHIE

CAMUS Albert (1913 – 1960)
• Écrivain français, l’un des principaux acteurs de la vie intellectuelle française de l’après-guerre
• Né en Algérie dans une famille modeste, orphelin de père, Camus commence des études de philosophie
• Atteint de tuberculose, il ne peut achever ses études et doit renoncer à l’enseignement
• Il publie sa première œuvre L’Envers et l’Endroit (1937) où apparaissent ses thèmes de prédilection : « la mort – le soleil – l’isolement – le destin de l’Homme »
• A partir de 1938, Camus embrasse le journalisme
• Il joue un rôle très actif dans la résistance, au sein du mouvement Combat
• La publication de son essai L’Homme révolté est à l’origine de la rupture définitive entre Camus et Sartre sur la question de l’engagement
• En 1957, il reçoit le prix Nobel de la littérature
• En 1960, il meurt dans un accident de voiture

BIBLIOGRAPHIE

L’Étranger (1942)
Le mythe de Sisyphe (1942)
Caligula (1944)
La Peste (1947)
Les Justes (1950)
L’ABSURDE

Bien qu’apparenté dans une certaine mesure à l’existentialisme, Camus s’en est nettement séparé pour attacher son nom à une doctrine personnelle, la philosophie de l’absurde. Elle est définie dans Le Mythe de Sisyphe, dans L’Étranger, dans La Peste puis dans Caligula et le Malentendu.
L’absurde correspond à un climat d’angoisse chez les écrivains, après la seconde guerre mondiale.
Les thèmes essentiels :
La solitude de l’homme, le tragique de l’existence. Les personnages, étrangers dans le monde, prennent conscience de la dérision de la condition humaine. Anonymes, sans épaisseur, ils se présentent comme des antihéros.
L’espace vide, l’écoulement infini du temps. Les personnages évoluent dans un univers sans repères, sans futur.
L’incommunicabilité et la vanité du langage. Le langage semble vidé, mécanique, artificiel.


STRUCTURE DE L’ŒUVRE

Deux grandes parties

I. La mort de la mère
Ch. 1 : la nouvelle de la mort/ l’hospice/ la veillée/ l’enterrement
Ch. 2 : le réveil le samedi/ Marie / le cinéma/ le dimanche
Ch. 3 : au bureau/ avec Emmanuel/ les voisins
Ch. 4 : dimanche/ la plage/ chez Mersault/ le vieux
Ch. 5 : au bureau/ coup de fil de Raymond/ la demande en mariage
Ch. 6 : le dimanche/ la plage et le meurtre

II. La mort de Mersault
Ch. 1 : le juge et l’interrogatoire/ l’avocat/ 2ème interrogatoire
Ch. 2 : la prison/ visite de Marie/ la vie en prison
Ch. 3 : le procès/ le 1er jour
Ch. 4 : le procès/ le réquisitoire/ la plaidoirie/ le verdict
Ch. 5 : méditation sur la peine de mort/ la visite de l’aumônier

TECHNIQUE NARRATIVE

Le récit est à la première personne, ce qui marque la place prédominante du narrateur. Il raconte de façon sobre les événements. Au fil du roman, on va passer du journal au récit. Dans la première partie, la chronologie est assez précise, on va de jour en jour, de semaine en semaine. On se situe peu de temps après ce qui s’est passé. Dans la deuxième partie, le narrateur se situe plutôt après. Entre la dernière visite de l’aumônier et son exécution, il est situé « cinq mois » après le moment où ont lieu les événements. La chronologie se dilue, le temps est moins marqué. Il fait un retour en arrière puis il avance puis il revient à nouveau en arrière. Le narrateur est plus loin dans le temps, il fait la synthèse. Dans la seconde partie, Meursault est comme retranché de la vie, il sort du temps.

THÉMATIQUE
• Éros et Thanatos
• Le destin
• L’indifférence
• L’absurde

ÉTUDE DU PERSONNAGE
Le personnage de Meursault et les sens : Un personnage imprégné de sensations

1. Meursault, un « animal » ou être primitif ?
L’omniprésence du ciel, du soleil dans tous les épisodes ou presque : Meursault comme un baromètre de l’univers physique.
Enterrement de la mère : notations sur la chaleur, la lumière plus ou moins intense
Moments d’intimité avec Marie : éléments du corps féminin qu’il désire, sensations du toucher et de l’odorat, plaisirs charnels dans les bains en communion avec la nature ;
A tout instant en communication avec l’univers de couleurs et de bruits : « le ciel était vert »

2. Meursault, prisonnier de ses sens
Les éléments et les sensations peuvent se retourner contre lui : c’est le sens du chapitre 6 où le meurtre narré du point de vue du criminel finit par ressembler à un acte de légitime défense contre l’agression d’un soleil et d’une chaleur hostiles. Point de rupture de l’équilibre de son existence précaire, clairement signalé par le texte. Dans le dernier chapitre, la symbolique de l’aube assimilée à la possibilité de la grâce fait du soleil un élément ambivalent, source de vie ou bien de mort, puisque c’est à l’aube aussi qu’on exécute les condamnés. La mort est aussi comparée à une montée, une « ascension en plein ciel »

Le personnage de Meursault et la question du sens : Un personnage privé de signification

1. Un temps absurde
Meursault est soumis au temps présent, incapable de se projeter dans un avenir : au chapitre 5, il décline les projets d’avenir de son patron, de sa « fiancée ». Dans l’isolement de sa cellule il affronte le problème du temps en face « toute la question, encore une fois, est de tuer le temps » et grâce à la recréation de souvenirs de liberté finit par trouver « qu’un homme qui n’aurait vécu qu’un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison ». Cette « prison », c’est peut-être lui-même.

2. L’absence à soi et aux autres
Meursault est une énigme vivante aux autres d’abord : étonnement et indignation des autres devant son indifférence à l’amour, à la mort, scandale pour le juge d’instruction qui le traite d’antéchrist, pour le procureur qui juge l’homme sans cœur, sans larmes devant le tombeau de sa mère… Mais il est une énigme pour lui-même : en prison, dans le fond de sa gamelle, il reconnaît avec peine son propre reflet. Cette impossibilité de « réfléchir » aux deux sens du terme, c’est à dire renvoyer une image et penser, fait de lui un aveugle : « itinéraire d’aveugle ». Ainsi, pendant le procès, par un effet de dédoublement étrange, il a en fixant le public « l’impression bizarre d’être regardé par moi-même ».

jeudi 22 avril 2010

mardi 13 avril 2010

L'isolement

L’isolement- Commentaire de Lamartine

J'écrivis cette première méditation un soir du mois de septembre 1819, au coucher du soleil, sur la montage qui domine la maison de mon père, à Milly. J'étais isolé depuis plusieurs mois dans cette solitude. Je lisais, je rêvais, j'essayais quelquefois d'écrire, sans rencontrer jamais la note juste et vraie qui répondit à l'état de mon âme; puis je déchirais et je jetais au vent les vers que j'avais ébauchés. J'avais perdu l'année précédente, par une mort précoce, la personne que j'avais le plus aimée jusque-là. Mon coeur n'était pas guéri de sa première grande blessure, il ne le fut même jamais. Je puis dire que je vivais en ce temps-là avec les morts plus qu'avec les vivants. Ma conversation habituelle, selon l'expression sacrée, était dans le ciel. On a vu dans Raphaël comment j'avais été attaché et détaché soudainement de mon idolâtrie d'ici-bas.

J'avais emporté ce jour-là sur la montagne un volume de Pétrarque, dont je lisais de temps en temps quelques sonnets. Les premiers vers de ces sonnets me ravissaient en extase dans le monde de mes propres pensées. Les derniers vers me sonnaient mélodieusement à l'oreille, mais faux au coeur. Le sentiment y devient l'esprit. L'esprit a toujours, pour moi, neutralisé le génie. C'est un vent froid qui sèche les larmes sur les yeux. Cependant j'adorais et j'adore encore Pétrarque. L'image de Laure, le paysage de Vaucluse, sa retraite dans les collines euganéennes, dans son petit village que je me figurais semblable à Milly, cette vie d'une seule pensée, ce soupir qui se convertit naturellement en vers, ces vers qui ne portent qu'un nom aux siècles, cet amour mêlé à cette prière, qui font ensemble comme un duo dont une voix se plaint sur la terre, dont l'autre voix répond du ciel; enfin cette mort idéale de Pétrarque la tête sur les pages de son livre, les lèvres collées sur le nom de Laure, comme si sa vie se fût exhalée dans un baiser donné à un rêve! tout cela m'attachait alors et m'attache encore aujourd'hui à Pétrarque. C'est incontestablement pour moi le premier poëte de l'Italie moderne, parce qu'il est à la fois le plus élevé et le plus sensible, le plus pieux et le plus amoureux; il est certainement aussi le plus harmonieux: pourquoi n'est-il pas le plus simple? Mais la simplicité est le chef-d'oeuvre de l'art, et l'art commençait. Les vices de la décadence sont aussi les vices de l'enfance des littératures. Les poésies populaires de la Grèce moderne, de l'Arabie et de la Perse, sont pleines d'afféterie et de jeux de mots. Les peuples enfants aiment ce qui brille avant d'aimer ce qui luit; il en est pour eux des poésies comme des couleurs: l'écarlate et la pourpre leur plaisent dans les vêtements avant les couleurs modérées dont se revêtent les peuples plus avancés en civilisation et en vrai goût.

Je rentrai à la nuit tombante, mes vers dans la mémoire, et me les redisant à moi-même avec une douce prédilection. J'étais comme le musicien qui a trouvé un motif, et qui se le chante tout bas avant de le confier à l'instrument. L'instrument pour moi, c'était l'impression. Je brûlais d'essayer l'effet du timbre de ces vers sur le coeur de quelques hommes sensibles. Quant au public, je n'y songeais pas, ou je n'en espérais rien. Il s'était trop endurci le sentiment, le goût et l'oreille aux vers techniques de Delille, d'Esménard et de toute l'école classique de l'Empire, pour trouver du charme à des effusions de l'âme, qui ne ressemblaient à rien, selon l'expression de M. D*** à Raphaël.

Je résolus de tenter le hasard, et de les faire imprimer à vingt exemplaires sur beau papier, en beau caractère, par les soins du grand artiste en typographie, de l'Elzevir moderne, M. Didot. Je les envoyai à un de mes amis à Paris: il me les renvoya imprimés. Je fus aussi ravi en me lisant pour la première fois, magnifiquement reproduit sur papier vélin, que si j'avais vu dans un miroir magique l'image de mon âme. Je donnai mes vingt exemplaires à mes amis: ils trouvèrent les vers harmonieux et mélancoliques; ils me présagèrent l'étonnement d'abord, puis après l'émotion du public. Mais j'avais moins de confiance qu'eux dans le goût dépravé, ou plutôt racorni, du temps. Je me contentai de ce public composé de quelques coeurs à l'unisson du mien, et je ne pensai plus à la publicité.

Ce ne fut que longtemps après, qu'en feuilletant un jour mon volume de Pétrarque, je retrouvai ces vers, intitulés: Méditation, et que je les recueillis par droit de primogéniture pour en faire la première pièce de mon recueil. Ce souvenir me les a rendus toujours chers depuis, parce qu'ils étaient tombés de ma plume comme une goutte de la rosée du soir sur la colline de mon berceau, et comme une larme sonore de mon coeur sur la page de Pétrarque, où je ne voulais pas écrire, mais pleurer.